Introduction à la philosophie antique stoïcienne.
« Ce ne sont pas les choses elles-mêmes qui nous troublent, mais l’opinion que nous nous en faisons. » Epictète
La philosophie, pour les stoïciens (Marc-Aurèle, Sénèque, Epictète, Cicéron, par exemple) doit d’abord être une compréhension du monde (une physique), monde qui est, selon eux, avant tout un ordre, un cosmos, une parfaite harmonie. Pour se représenter cette idée d’un « ordre cosmique » tel que le conçoivent les philosophes stoïciens, on peut se représenter le réel comme une sorte d’organisme animé. L’ordre du monde n’est pas seulement une structure merveilleuse mais c’est un ensemble dont toutes les parties sont en accord avec le tout comme dans un corps vivant où chaque organe trouve sa place et sa fonction dans l’organisme. Le monde est ainsi sans défaut, il fonctionne comme une totalité dont les éléments occupent une place prédéterminée qui obéit à une nécessité stricte. Donc l’univers apparaît aux philosophes stoïciens comme un ordre déterminé que le philosophe doit apprendre à contempler (grâce aux sciences, comme l’astronomie, qui nous montre que le monde est « bien fait » : qu’il s’agisse du mouvement régulier des planètes ou de la structure du moindre organisme vivant, il semble qu’il y ait en chaque chose une perfection et donc une beauté qui apparaît pourvu qu’on sache la regarder). Il n’ y a alors pas de place pour le désordre ou le hasard selon la philosophie stoïcienne : « rien n’est plus parfait que le monde » écrit Cicéron. Le philosophe exprime ainsi sa conviction que le monde cache une certaine logique et que derrière le désordre apparent des choses, il y a au fond un ordre caché à comprendre. Précisions importante, les stoïciens sont en fait panthéistes c’est-à-dire qu’ils pensent que Dieu et le monde ne font qu’une seule chose (tout est dieu en somme, qui est immanent et non une personne séparée et au-delà du monde) et cette perfection du monde n’est rien d’autre que la perfection de dieu… Pensée étrange pour nous modernes, qui sommes habitués à l’image d’un dieu personnel distinct du monde physique (un dieu transcendant et non un dieu immanent). Ainsi l’ordre du monde est aussi juste et bon. « Tout ce qui arrive, écrit Marc-Aurèle dans ses Pensées, arrive justement ». La nature c’est d’abord une gigantesque mécanique qui fonctionne bien et qui correspond à un ordre divin …et chaque chose y est au fond à sa place.
Certes, certaines choses paraissent laides ou catastrophiques ou semblent injustes dans cet ordre. Il faut cependant dépasser cette impression immédiate. Selon Marc-Aurèle, « la crinière du lion, l ‘écume qui coule de la gueule du sanglier et bien d’autres choses, si on les observe en détail, sont sans doute loin d’être belle, et pourtant parce qu’elles sont engendrées par la nature, elles possèdent leur charme, et si l’on avait une intelligence plus profonde, il n’est sans doute aucun d’entre eux qui ne paraîtrait une agréable créature. Même chez les vieux et les vieilles, on pourra voir une certaine perfection, comme on verra la grâce enfantine, si on a les yeux d’un sage ».
Autrement dit, le monde n’est pas mauvais, (le mal n’existe pas dans le monde) ou laid, ou désordonné car il ne faut pas s’attarder au détail mais voir l’ensemble qui est bon. Si nous ne regardons que certaines réalités particulières (les monstres, les catastrophes), nous ne verrons pas la beauté de l’ensemble.
Après cette « physique », la philosophie peut donc aussi devenir ensuite une morale : à partir de cette théorie cosmologique, on en déduit qu’il faut vivre en conformité avec le cosmos, il nous faut nous ajuster avec le monde (« vivre en accord avec la nature »). Là encore cette pensée est contraire à notre vision actuelle des choses : pour un moderne, l’homme doit apprendre à se gouverner selon ses propres lois (la nature étant juste un moyen et restant neutre moralement), mais pour un stoïcien, l’homme doit se mettre en conformité avec un ordre « naturel ». Pour simplifier on peut dire que ce qui est bon est ce qui conforme à l’ordre cosmique et ce qui est mauvais contraire à cet ordre, l’essentiel étant de réussir dans la pratique à s’accorder avec l’harmonie des choses pour y trouver sa juste place (le gouvernement de soi doit être conforme au gouvernement du monde). C’est là la condition de la « sagesse ».
En quoi le stoïcisme est-il une sagesse ? Il est tout d’abord une acceptation du réel et donc la mort : Epictète écrit :
« Les feuilles tombent, la figue sèche, remplace la figue fraîche, le raisin sec la grappe mûre, voilà selon toi des paroles de mauvaise augure ! Mais il n’y a là que la transformation d’états antérieurs en d’autres ; il n’y a pas de destruction, mais un aménagement et une disposition bien réglée. L’émigration n’est qu’un petit changement. La mort en est un plus grand, mais il ne va pas de l’être actuel au non-être, mais au non-être de l’être actuel. Alors ne serais-je plus ? Tu ne seras pas ce que tu es mais autre chose dont le monde aura alors besoin ».
Ce texte signifie que parvenu à un certain niveau de compréhension du monde, la mort n’existe pas vraiment, elle n’est qu’une transformation d’un état à un autre. Pas un anéantissement, mais un changement. Par conséquent la peur de la mort n’est pas justifiée car en tant que fragment du monde, nous restons à jamais dans ce monde. La philosophie ici devient une façon de parvenir à plus de sérénité, d’échapper à ce qui nous trouble, par exemple, pour les stoïciens, l’attachement au passé ou la crainte de l’avenir, qui nous empêchent de savourer l’instant présent. Il faut, selon les stoïciens, nous exercer à vivre dans le seul temps qui soit le nôtre, c’est-à-dire le présent. Pour Marc Aurèle, par exemple, « il faut accomplir chaque action de la vie comme si c’était la dernière » (Les Pensées).
Il est donc essentiel d’apprendre à aimer le monde tel qu’il est, d’accepter le monde comme il va. Le message essentiel du stoïcisme est de nous inviter à nous réconcilier avec le monde, à accorder notre volonté avec les évènements de telle sorte que « nul événement n’arrive contre notre gré » dit Epictète. Nous vivrons alors une vie sans trouble. Il faut donc s’entraîner à penser que tout ce que nous avons, nous pouvons un jour le perdre et que si nous attachons à une chose, il faut aussi s’imaginer que nous pouvons à tout moment en être privé (ce n’est pas de l’indifférence mais le rappel que rien ne dure en ce monde). Cette philosophie est donc entièrement fataliste et croit que le monde est gouverné par la loi du destin. Mais l’idée est que lorsque le destin aura frappé, le sage sera celui qui s’y sera déjà préparé, lorsque la catastrophe adviendra (la mort, la misère, la maladie et tous les maux inévitablement liés au temps qui passe…), qu’elle aura eu lieu, je pourrais y faire face en vivant au présent et en aimant le monde quoiqu’il advienne. Le fou est celui qui veut que les choses arrivent comme il voudrait qu’elles arrivent, le sage est celui qui veut que les choses arrivent comme elles arrivent. C’est là le secret du bonheur stoïcien : en voulant le monde tel qu’il est l’homme ne se trouble plus de désirs impossibles, il apprend à « changer ses désirs plutôt que l’ordre du monde » (Descartes) et par là à rester serein (atteindre « l’ataraxie » : l’absence de trouble de l’esprit). Le bonheur ici devient une sorte d’accord entre deux ordres, l’ordre de nos désirs et l’ordre du réel et la liberté devient ici la compréhension et l’acceptation de la nécessité (nous ne sommes pas libres de changer le monde mais nous sommes libres de l’accpter ou de le refuser). Il faut donc apprendre à aimer le destin en toutes circonstances « Amor fati !» comme le dira plus tard le philosophe Nietzsche.
A lire : « Pensées pour moi-même » de Marc Aurèle
« Le Manuel » d’Epictète.
Cédric Eyssette
20 septembre, 2010 à 22:39
Je souhaitais vous remercier pour ce texte très clair qui présente de manière très pédagogique les éléments clefs de la philosophie stoïcienne pour les élèves.
Je me suis permis d’utiliser votre document dans le cadre d’un exercice avec mes élèves sur les sagesses antiques (à la fin de mon cours sur la question suivante « la satisfaction des désirs peut-elle nous conduire au bonheur ? »).
Abdelli Ridha
1 décembre, 2010 à 0:03
En tout premier lieu,je vous remercie à votre travail surieux.Mais ,je veux vous poser la question suivante :s’il vous plait,pourquoi vous n’avez pas utilisé la doctrine spinoziste à votre article?Aussi,de méme,vous n’avez pas insisté sur le concept stoicienne de la providence et leur évolution pendant l’histoire de la philoosophie(par exemple avec Leibniz).Quoique tous les doctrines stoiciennes sont reliées (de point de vue critique)à la logique aristotélicienne,ces philosophes qui incanaient l’idée de la volontée humaine ont influencé de prés ou de loin la théorie Wittgensteinienne dans son oeuvre Tractatus??Y-a-t-il ici une contradiction entre les finalités de la logique stoicienne ,d’un part,et la connexion des objets dans le monde en attribuant l’idée d’utilité chez eux et comment se démystifier avec le christiannisme? ça nous amène d’indiquer s’il s’agit chez Ernest Renan une tentative de fonder une religion qui nouer les principes chrétiennes avec les maximes d’Epictète? En fin,je vous remercie à votre effort brillant.