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Explication d’un texte de J.J. Rousseau (Par Antoine Colon- TES2)

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EXPLICATION D’UN TEXTE DE J.J. ROUSSEAU.

Expliquez le texte suivant (la connaissance de la doctrine de l’auteur n’est pas requise. Il faut et il suffit que l’explication rende compte, par la compréhension précise du texte, du problème dont il est question ) :

“ J’entends dire que la tragédie mène à la pitié par la terreur ; soit, mais quelle est cette pitié ? Une émotion passagère et vaine qui ne dure pas plus que l’illusion qui l’a produite ; un reste de sentiment naturel étouffé bientôt par les passions, une pitié stérile qui se repaît de quelques larmes et n’a jamais produit le moindre acte d’humanité. Ainsi pleurait le sanguinaire Sylla1 au récit des maux qu’il n’avait pas faits lui-même. [...]
Si, comme le pense Diogène Laërce, le cœur s’attendrit plus volontiers à des maux feints qu’à des maux véritables, si les imitations du théâtre nous arrachent quelquefois plus de pleurs que ne le ferait la présence même des objets imités, c’est moins, comme le pense l’Abbé Du Boss, parce que les émotions sont plus faibles et ne vont pas jusqu’à la douleur que parce qu’elles sont pures et sans mélange d’inquiétude pour nous-mêmes. En donnant des pleurs à ces fictions, nous avons satisfait à tous les droits de l’humanité, sans avoir plus rien à mettre du nôtre ; au lieu que les infortunés en personne exigeraient de nous des soins, des soulagements, des consolations, des travaux qui pourraient nous associer à leurs peines, qui coûteraient du moins à notre indolence et dont nous sommes bien aises d’être exemptés.
Au fond, quand un homme est allé admirer de belles actions dans les fables, et pleurer des malheurs imaginaires, qu’a-t-on encore à exiger de lui ? N’est-il pas content de lui-même ?Ne s’applaudit-il pas de sa belle âme ? Ne s’est-il pas acquitté de tout ce qu’il doit à la vertu par l’hommage qu’il vient de lui rendre ? [...] Plus j’y réfléchis et plus je trouve que tout ce qu ‘on met en représentation au théâtre, on ne l’approche pas de nous, on l’éloigne. [...] Ainsi, la plus avantageuse impression des meilleures tragédies est de réduire à quelques affections passagères, stériles et sans effet tous les devoirs de l’homme, à nous faire applaudir de notre courage en louant celui des autres, de notre humanité en plaignant les maux que nous aurions pu guérir de notre charité en disant au pauvre : Dieu vous assiste ”.

J.J. Rousseau, Lettre à d’Alembert.

EXPLICATION DU TEXTE (par Antoine Collon-tES2)

Nous tenons ici une lettre de Rousseau écrite à d’Alembert. Jean Jacques Rousseau, l’un des plus illustres philosophes du siècle des lumières fait part de son esprit critique à d’Alembert au sujet de l’art. Il a toujours été très critique envers tout ce qui était artistique. Il méprise d’ailleurs la musique française «  Les airs français ne sont pas des airs, le récitatif français n’est pas un récitatif. Les français n’ont point de musique et n’en peuvent avoir une. Et si jamais ils en ont une, ce sera tant pis pour eux. »
Mais dans cette lettre il s’attaque minutieusement à «  l’art de la représentation »: le théâtre, qui selon lui trompe, pervertit les hommes et les éloigne de la réalité. On se trouve donc confronté ici à un rapport entre art et morale. Y a-t-il de la moralité en l’art ou en est-il dépourvu? La question véritable est de savoir si l’art rend meilleur.
L’auteur a répondu à ces questions en dégageant une thèse implicite qui apparaît dans cette lettre. Pour l’expliquer, nous suivrons la vision de l’auteur sur la vérité et l’authenticité de l’art dans une première partie puis dans une seconde partie, nous approfondirons la thèse de l’auteur au sujet de l’art et de la moralité, de son influence sur l’Homme. Après avoir clairement expliqué la vision de Rousseau, nous nous attacherons à la critique durant laquelle on s’interrogera sur le rôle de l’art, nous expliquerons pourquoi est-il indispensable à nos sociétés et nous finirons par préciser pourquoi l’art n’est pas un déterminant dans la passivité des Hommes.

Jean Jacques Rousseau n’entend pas dire que le spectacle n’est pas source d’émotions, mais il s’est interrogé sur la véracité de celles-ci. Pour Rousseau il s’avère que ces émotions sont artificielles parce que ce qui les a produites n’est qu’une illusion. Ici, le théâtre n’est donc qu’une fiction, qu’une vulgaire imitation de la réalité et d’autre part parce que les maux qui forgent la douleur, la pitié, la tristesse n’atteignent pas directement le spectateur.
On peut symboliser le théâtre, l’endroit où ont lieu les représentations comme la porte entre deux mondes : celui du réel et celui de la fiction, le devant de la scène étant la cloison entre ces deux mondes. Le spectateur appartenant à la sphère réelle ne peut traverser cette cloison ainsi que les émotions purement fictives ne peuvent devenir totalement véritables. Le spectateur ne fait donc pas parti intégrante de l’action, il n’est pas touché directement parce qu’aucun mal ne l’atteint «  les émotions pures et sans mélange d’inquiétude pour nous-mêmes ». Ici le théâtre n’est donc que fiction, et les émotions qu’il transmet ne sont pas plus véritables que lui.
« Quelle est cette pitié, une émotion passagère et vaine qui ne dure pas plus que l’illusion qui l’a produite; un reste de sentiment naturel bientôt étouffé par les passions » (l,3). C’est par l’intermédiaire de cette citation que l’auteur s’attache à au caractère superficielle des émotions. Elles sont tout simplement artificielles parce qu’elles ne sont pas réelles et ne sont que la marque que le théâtre a atteint son but principal : il est créateur d’émotions, notamment en tragédie où tout est fait pour émouvoir le spectateur, le faire réagir mais celui-ci y est presque contraint. Ses réactions étant exacerbées par la forme collective que prennent ses émotions. On rit parce que les autres rient… Par ailleurs, le spectateur sait qu’en assistant à une tragédie, des sentiments de pitié, de tristesse, de compassion et d’autres vont naître au fond de lui-même. Mais ces émotions ne sont pas personnelles : d’abord parce qu’elles sont faites pour toucher chacun de nous, les plus et les moins sensibles et aussi parce que l’atmosphère qui règne amplifie «  le rire ou le pleur collectif ».
Puisque Rousseau critique le rôle même du spectacle, que cet art ne présente aucune vérité puisqu’il est aussi fictif que les sensations qu’il transmet, cela revient à remettre en cause le sens même du théâtre.
Mais le problème n’est pas tant la question de la vérité de l’art mais plutôt le fait que le théâtre remplace le réel, il occulte cette vérité.
Même si les émotions sont fausses et artificielles, elles sont bien existantes ainsi « pleurer des malheurs imaginaires » c’est donner de soi-même. Cette activité mentale se veut aussi éprouvante qu’une activité physique, qu’une action, et on ne se sent plus dans le besoin d’agir. Ainsi, par des larmes de compassion qui peuvent avoir coulées lors d’une tragédie, l’individu pense avoir donné de sa personne et agit humainement. Pour Rousseau, l’individu va donc inconsciemment se contenter de larmes non plus sincères et « véritables » que ce qui les a faites naître. « En donnant des pleurs à ses fictions, nous avons satisfait à tous les droits de l’humanité, sans avoir plus rien à mettre du notre; au lieu que les infortunés en personne exigeraient de nous des soins, des soulagements, des consolations, des travaux qui pourraient nous associer à leurs peines, qui coûteraient du moins à notre indolence et dont nous sommes bien aises d’être exemptés » (l.11).
L’Homme inconsciemment ne fait pas la différence entre le monde réel auquel il est confronté et le monde fictif auquel il est relié uniquement par sa fonction de spectateur. Rousseau dit alors que l’art trompe l’Homme. Celui-ci croit avoir oeuvré pour une « cause véritable » alors qu’il n’a à aucun moment fait preuve d’humanité pour une « cause réelle ». Puisqu’une tragédie reprend des éléments quotidiens des Hommes, pour qu’ils se sentent concernés, dans le but d’émouvoir, mais elle n’est en vérité qu’une illusion de la réalité. L’Homme ne différencie plus la sphère réelle dont il est acteur du « monde imaginaire » dont il est spectateur. Par l’art, la réalité devient fictive et ainsi les deux monde ne font plus qu’un.
Pleurer pour une tragédie nous donne bonne conscience et nous affranchit de toute responsabilité, le risque c’est que l’individu soit coupé de la réalité à tel point qu’il en oublie sa famille, ses amis et surtout ses devoirs de citoyen : le devoir d’agir lorsque l’occasion se présente. En allant donner des pleurs pour une tragédie, l’individu va aisément s’exempter d’une tâche coûteuse qui est agir pour soulager et venir en aide à son prochain.
Ainsi l’art plongerait les Hommes dans une immoralité. Et comme Platon, Rousseau considère que l’art est fabrication d’illusions faite par notre imagination et qui nous éloigne de la vérité. L’Homme reste prisonnier des apparences, des illusions. Il est dans le faux, dans le fictif. On peut illustrer cette vision par « l’allégorie de la caverne » de Platon ( dans la République livre VII ) : l’individu est enchaîné au fond de la caverne obscure, son regard est dirigé vers la paroi et non vers la sortie qui serait le symbole de la vérité.
Le spectacle masque le visage de la vérité, il se fait comme passer pour elle. La reproduction du monde sensible nous éloigne de la vérité, nous rend prisonnier de l’illusion et par conséquent nous exempt de nos devoirs.

Pour Rousseau, l’art ne rend pas l’Homme meilleur voire même il le transforme. Mais il serait surpris de voir à notre époque l’ampleur qu’a pris l’art dans nos vies quotidiennes, ce n’est peut être plus le théâtre ni les musées qui captivent les Hommes, encore que les passionnés restent nombreux. Mais la musique et le cinéma font partie intégrante de notre vie. Alors si l’art comme le pense Rousseau était si négatif aux Hommes, pourquoi est-il devenu si populaire ? N’a t-il pas un rôle, une fonction, un but dans notre vie ? Il n’a sans doute pas pensé que l’art pouvait nous être nécessaire.
Voyons alors ici l’art comme une distraction, ce qui suffit à Rousseau pour le condamner «  à ne regarder les spectacles comme amusement, cette raison seule vous paraît suffire pour les condamner » ( réponse de d’Alembert). L’art est peut être irrationnel mais il permet de nous évader de notre quotidien, parfois difficile à vivre. Pour toute réponse, d’Alembert écrit à Rousseau «  la vie est si courte, dîtes vous et le temps si précieux. Qui en doute monsieur? Mais en même temps, la vie est si malheureuse et le plaisir si rare ! ». Si l’art permet momentanément de retrouver ce bonheur manquant, alors pourquoi le condamner ? Si l’art peut rendre une vie plus supportable, qu’a t-on à lui reprocher? Pour Rousseau, l’art n’est qu’un amusement mais la majorité des Hommes le considère comme nécessaire et il est une réponse à nos besoins : si il nous prend l’envie de rire, on sait pertinemment que la comédie pourra exhausser notre souhait autant que la tragédie nous permettra des pleurs. L’Homme a simplement besoin de ces distractions synonymes de repos pour le corps et l’esprit, et nécessaires à l’efficacité que l’on attend de lui tous les jours. L’amusement et le spectacle n’est donc pas incompatible avec nos devoirs de citoyen.
Le quotidien étouffe les Hommes. L’art est une bouffée d’oxygène. C’est l’évasion de la pensée qui quitte le réel, et par conséquent, celle des soucis, du stress, et peut être même de la peur, pour enfin se laisser distraire par le spectacle qui, bien que momentané, nous change les idées et nous procure un sentiment de bien être. Après avoir repris ses esprits, l’Homme peut se sentir soulagé d’un poids, il est donc plus apte à affronter les problèmes de la vie. L’art permet simplement de redonner un sens à nos vies dans un monde que l’Homme peine à comprendre, dans un monde qui a depuis longtemps dépassé chacun. Il referme les plaies du soucis « il semble donc que les spectacles peuvent être accordés aux Hommes, du moins comme un jouet qu’on donne à des enfants qui souffrent » ( d’Alembert). L’art peut donc être vu aux yeux de tous comme un amusement mais le considérer comme une véritable délivrance serait, sans nul doute, plus approprié.
Pourtant, la seule fonction de l’art comme délivrance ne suffirait peut-être pas à justifier la place qu’il occupe aujourd’hui et pourquoi il s’est imposé comme étant indispensable à nos sociétés. Voyons donc l’art comme dévoilement. Selon Henri Bergson, l’art rendrait visible l’invisible, il nous détache de la réalité, détourne les Hommes de leur quotidiens, pour leur permettre d’observer des choses qui n’avaient jamais été observées, mais qui pourtant mériteraient qu’on y prête plus attention. En effet, par notre implication dans le travail et la vie de famille, on a perdu le temps et peut-être même le goût de la perception des détails qui nous environnent. Nous vivons donc dans un monde sans vraiment le connaître. L’art est une véritable révélation que Bergson compare à la technique du révélateur pour développer ses photographies « telle est l’image de la photographie qui n’a encore été plongée dans le bain où elle se révélera ». L’Homme focalisé sur l’action et l’utile dans l’immédiat, en oublie de contempler les « belles choses de la vie ». L’artiste, par son oeuvre, nous rend conscient d’une réalité qui nous échappe autrement dit il rend la vue à un aveugle.
L’artiste voit dans le réel ce que les autres ne voient pas « un Corot, un Turner, pour ne citer que ceux-là, ont aperçu dans la nature bien des aspects que nous ne remarquons pas » ( Bergson). Par ses créations, l’artiste reproduit sa perception du réel que les Hommes pourraient à leur tour découvrir. On peut donc dire que l’art éduque l’Homme à la perception du monde. Les impressionnistes comme Monet, Manet ou encore Van Gogh réputés pour leurs visions minutieuses et leurs précisions dans les détails sont l’exemple même des artistes qui, par leurs peintures, éduquent les Hommes et leur révèlent leur monde du point de vue de la perception artistique, qui approfondie la réalité et se fixe sur une chose pour en comprendre les détails. L’artiste nous délivre de l’action et nous invite à la contemplation. Sans lui, l’Homme passerait à coté de la richesse du monde sans même s’en rendre compte.
Mais l’art ne permet pas seulement de dévoiler « le beau des détails » il permet de comprendre d’autres peuples et civilisations. Puisque l’art est non seulement le reflet de l’artiste mais c’est aussi celui de toute une culture, toute une société, c’est un peu comme une langue universelle vecteur de la connaissance et du savoir. Le musée des arts premiers du Quai Branli à Paris, qui expose des créations du monde entier, des objets des civilisations d’Afrique, d’Asie, d’Océanie et des Amérique est un moyen de découvrir des cultures méconnues.
L’art comme dévoilement est mis au service de l’Histoire, c’est un patrimoine qui transmet l’identité des civilisations passées. L’exemple des arts rupestres est significatif puisqu’ils ont permis de reconstituer l’histoire des premiers Hommes. L’art n’est donc pas uniquement un dévoilement, mais c’est un véritable vecteur de transmission et d’enseignement.
Ce qui peut clore le débat sur l’utilité de l’art, de savoir si l’art rend meilleur, c’est bien le fait que d’après George Bataille, sans l’art, les Hommes seraient inexistants. En effet, l’art naît avec les premiers Hommes, d’après Bataille, c’est la marque d’une évolution de l’animal purement sauvage à l’Homme sensible. La création de peintures rupestres par exemple, c’est l’apparition en son créateur d’une sensibilité, d’une réflexion, d’une recherche qui est une étape favorable à l’évolution de l’espèce humaine « Lascaux est le symbole du passage de l’animal à l’Homme » ( George Bataille). L’existence même des Hommes aurait été dépendante de la naissance de l’art qui a permis le passage de l’animal sauvage à l’Homme sensible doté d’une intelligence supérieure. L’Homme est le créateur de l’art, et l’art le créateur de l’Homme.

C’est donc par ses multiples fonctions de distraction, de dévoilement, d’éducation ou d’enseignement que l’art sous ses différentes formes s’est peu à peu imposé dans nos sociétés. Aussi bien utile que nécessaire il permet aux hommes de s’interroger sur de nombreux sujets : ce que l’on retrouve en philosophie. Il éduque à une sensibilité, dévoile « le beau et le moins beau » du monde, transmet des savoirs et connaissances venues d’ailleurs, rend également plus acidu dans leur travail. L’Homme s’accapare des connaissances que l’art véhicule.
On ne peut dire qu’il est sans intérêt, il fait ressurgir en nous des sentiments, des — enfouies qui rendent plus sensible, généreux et cultivé. Pour tout ce qu’il apporte aux Hommes, l’art les rend meilleurs. Il déterre le mieux dans chacun des hommes, les rend meilleurs et il est vrai qu’il détache d’un quotidien qui nous enferme. L’art révèle et rend les hommes plus vivants. Et si Rousseau ne partage pas cette opinion, rappelons lui que sans l’art, l’homme ne serait qu’un animal et par conséquent un peu moins vivant que tous ceux de son époque.

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