Cours de philosophie.
LA LIBERTE ENTRE MORALE ET POLITIQUE
(Autres notions traitées : conscience -inconscient-devoir-Etat-société-droit-justice).
« Michael Collins », film de Neil Jordan, qui décrit l’épopée de la lutte pour l’indépendance de l’Irlande au début du siècle. La puissante Angleterre a toujours connu la contestation de la part de sa plus proche colonie, l’Irlande. Pendant 700 ans, les révoltes ont été jugulées. Mais en 1916, une rébellion éclate à Dublin, qui changera le cours de l’histoire. L’artisan de cette révolte, un homme de l’ombre voué à son pays, s’appelait Michael Collins.
Eugène Delacroix. « La liberté guidant le peuple ». 1830
Introduction : une notion a double sens :
1)Le problème politique de la liberté : l’obéissance aux lois supprime-t-elle la liberté ?
2) Le problème métaphysique de la liberté : la liberté de choix n’est-elle qu’une illusion de la conscience ?
PREMIERE PARTIE : LE PROBLEME DU LIBRE ARBITRE (liberté et volonté).
I Déterminisme et fatalisme (définition et distinction)
- Le déterminisme comme hypothèse scientifique ; le fatalisme comme théorie philosophique. (Texte de Spinoza, extrait de l’Ethique).
- Introduction à la morale stoïcienne. La théorie du cosmos. « Vivre en accord avec la nature ». Bonheur et ataraxie. (Texte d’Epictète) ;
- Texte de Nietzsche sur l’illusion du libre-arbitre. (extrait de Humain trop humain).
- Critique du fatalisme : le problème de la responsabilité morale (Epictète : « le mal n’existe pas » ; la critique des Mégariques et l’argument paresseux).
II Les indices de la liberté : peut-on « démontrer » son existence ?
1) Conscience et liberté :
- Bergson : action automatiques et action conscientes : « Conscience est synonyme de choix » : texte extrait de l’Energie spirituelle.
- Descartes : Le doute hyperbolique comme expérience de la liberté : Les Principes de la philosophie : « la liberté se connaît sans preuve par la seule expérience que nous en avons ».
2) Choix et contingence :
- La théorie des actes gratuits (André Gide) ; la liberté d’indifférence chez Descartes.
- La théorie sartrienne de l’angoisse comme expression de la liberté (référence à l’Existentialisme est un humanisme). La conscience comme intentionnalité.
Jean Paul Sartre
III La liberté à l’épreuve de l’inconscient : introduction à la théorie psychanalytique de Freud.
Sigmund Freud (1856 -1939)
Introduction :
- la thèse cartésienne de l’identité de la conscience et de la pensée et la théorie psychanalytique (Opposition).
- Les idées principales du freudisme : La théorie de l’inconscient ; la méthode thérapeutique ; la sexualité infantile (le problème du rapport au passé) ; la question de la liberté.
- Etude d’un extrait de Abrégé de psychanalyse de Freud .
Les cours de Charcot à la Salpêtrière à la fin du 19è siècle (Paris).
- Des études de l’hypnose, des névroses au « talking-cure »).
2) La structure du psychisme et la théorie du refoulement.
- Approche topique et dynamique ; l’interprétation des rêves et le symbolisme.
3) Les apports philosophiques de la psychanalyse.
- Humiliation ou libération ? Les trois blessures narcissiques ; étude d’un extrait de l’Introduction à la psychanalyse.
- La religion selon Freud ; texte extrait de l’Avenir d’une illusion.
- La sexualité selon Freud.
4) La critique de la psychanalyse.
- Critique philosophique (Etude du texte d’Alain, extrait des Eléments de philosophie).
- Critique épistémologique : Karl Popper et la falsifiablité (référence à Conjectures et réfutations) ; La question de la limite entre science et non science.
IV Liberté et raison.
1) Liberté et devoir : la morale est-elle la condition ou un obstacle pour la liberté ?
- La moralité comme fondement de la liberté : Kant et l’autonomie de la volonté. Texte extrait des Fondements de la métaphysique des mœurs. Autonomie et hétéronomie.
- Le problème de l’origine de la conscience morale. Rousseau ou Freud ? Nietzsche et la « Généalogie de la morale » : « la morale est le danger par excellence » : faut-il s’émanciper de la morale pour être libre ?
2) La liberté manifestée par le déterminisme : la liberté en situation..
- Critique du concept de toute puissance- Hanz Jonas : Le concept de Dieu après Auschwitz (critique du concept traditionnel de Dieu, la puissance comme concept relationnel) . W. Jankéléwitch, extrait de La mort : la liberté se révèle par le déterminisme .
- Sartre, extrait de l’Etre et le Néant.
Conclusion : Sur quoi fonder l’affirmation de la liberté ?
Textes de la première partie du cours sur la liberté.
1 ) « Toute chose qui est finie et a une existence déterminée ne peut exister ni être déterminée à agir si elle n’est pas déterminée à exister et à agir par une autre cause qui est aussi finie et a une existence déterminée; à son tour cette cause ne peut non plus exister ni être déterminée à agir si ce n’est par une autre qui est aussi finie et a une existence déterminée; et ainsi à l’infini. Il suit de là qu’il n’y a dans l’homme aucune volonté libre ou absolue mais notre esprit est déterminé à vouloir par une cause qui est aussi déterminée par une autre et ainsi à l’infini. Par conséquent, les hommes se trompent en ce qu’ils se croient libres; et cette opinion consiste en cela seul qu’ils ont conscience de leurs actions et qu’ils sont ignorants des causes par lesquelles ils sont déterminés; ce qui constitue donc leur idée de la liberté c’est qu’ils ne connaissent aucune cause de leurs actions » .
Spinoza L’Ethique, III, scolie de la proposition 2 .
2) « A tout ce que je veux et ce que je fais, il doit y avoir une cause, qu’elle soit consciente ou inconsciente, interne ou externe, réfléchie comme une raison ou purement aveuglément subie. Pourquoi je fais ce que je fais : à cause de ce que je veux ; et pourquoi je veux ce que je veux : à cause de ce que je suis ; et pourquoi je suis ce que je suis : parce que la vie, l’ordre des événements que j’ai subis, avant de faire m’ont fait être ce que je suis. La vie a fait ma vie : » l’on est fait, toujours avant de se faire » nous dit André Compte-Sponville, dans Vivre » .
Jean-luc Guichet, La liberté, ED. Quintette, p. 16.
3) « Puisque l’homme libre est celui à qui tout arrive comme il le désire, me dit un fou, je veux aussi que tout m’arrive comme il me plaît. Eh ! mon ami, la folie et la liberté ne se trouve jamais ensemble. La liberté est une chose non seulement très belle mais très raisonnable, et il n’y a rien de plus absurde ni de plus déraisonnable que de former des désirs téméraires et de vouloir que les choses arrivent comme nous les avons pensées. [...] La liberté consiste à vouloir que les choses arrivent, non comme il te plaît, mais comme elles arrivent ».
Epictète, Entretiens, I, 35.
4) « Aussi longtemps que nous ne nous sentons pas dépendre de quelqu’un ou de quelque chose, nous nous estimons indépendants : sophisme qui montre combien l’homme est orgueilleux et despotique. Car il admet ainsi qu’en toutes circonstances, il remarquerait et reconnaîtrait sa dépendance dès qu’il la subirait, son postulat étant qu’il vit habituellement dans l’indépendance et qu’il éprouverait aussitôt une contradiction dans ses sentiments s’il venait exceptionnellement à la perdre.
Mais si l’inverse était vrai, s’il était vrai que l’homme vit constamment dans une dépendance multiforme, mais s’estime libre quand il cesse de sentir la pression de ses chaînes du fait d’une longue accoutumance ? S’il souffre encore, ce n’est plus que de ses chaînes nouvelles : le « libre-arbitre » ne veut proprement rien dire d’autre que ne pas sentir ses nouvelles chaînes ».
Nietzsche, Humain trop humain, II, 2è. p. § 10.
5) « La conscience, originellement immanente à tout ce qui vit, s’endort la où il n’y a plus de mouvement spontané, et s’exalte quand la vie appuie vers l’activité libre. Chacun de nous a d’ailleurs pu vérifier cette loi sur lui-même. Qu’arrive-t-il quand une de nos actions cesse d’être spontanée pour devenir automatique? La conscience s’en retire. Dans l’apprentissage d’un exercice, par exemple, nous commençons par être conscients de chacun des mouvements que nous exécutons, parce qu’il vient de nous, parce qu’il résulte d’une décision et implique un choix; puis, à mesure que ces mouvements s’enchaînent davantage entre eux et se déterminent plus mécaniquement les uns les autres, nous dispensant ainsi de nous décider et de choisir, la conscience que nous en avons diminue et disparaît. Quels sont, d’autre part, les moments où notre conscience atteint le plus de vivacité? Ne sont-ce pas les moments de crise intérieure, où nous hésitons entre deux ou plusieurs partis à prendre, où nous sentons que notre avenir sera ce que nous l’aurons fait. Les variations d’intensité de notre conscience semblent donc bien correspondre à la somme plus ou moins considérable de choix ou, si vous voulez, de création, que nous distribuons sur notre conduite. Tout porte à croire qu’il en est ainsi de la conscience en général. Si conscience signifie mémoire et anticipation, c’est que conscience est synonyme de choix » .
Bergson: « La conscience et la vie » (1911) in L’Energie spirituelle. P.U.F.
6) « Que la liberté de notre volonté se connaît sans preuve par la seule expérience que nous en avons.
Au reste, il est si évident que nous avons une volonté libre, qui peut donner son consentement ou ne le pas donner quand bon lui semble, que cela peut être compté pour une de nos plus communes notions. Nous en avons eu ci-devant une preuve bien claire: car en même temps que nous doutions de tout et que nous supposions même que celui qui nous a créés employait son pouvoir à nous tromper en toutes façons, nous apercevions en nous une liberté si grande que nous ne pouvions nous empêcher d’y croire. Ce que nous apercevions alors distinctement et dont nous ne pouvions douter pendant une suspension si générale est aussi certain qu’aucune autre chose que nous puissions jamais connaître » .
Descartes, Les Méditations Métaphysiques .
7) « Cette indifférence que je sens lorsque je ne suis point porté vers un coté plutôt que vers un autre par le poids d’aucune raison, est le plus bas degré de la liberté et fait plutôt apparaître un défaut dans la connaissance qu’une perfection dans la volonté car si je connaissais toujours clairement ce qui est vrai et ce qui est bon, je ne serais jamais en peine de délibérer quel jugement et quel choix je devrais faire et je serais entièrement libre sans jamais être indifférent ».
Descartes. Les principes de la philosophie I § 39
8) « La volonté est une sorte de causalité des êtres vivants en tant qu’ils sont raisonnables et la liberté serait la propriété qu’aurait cette volonté d’agir indépendamment de causes étrangères qui la déterminent; de même que la nécessité naturelle est la propriété qu’à la causalité de tous les êtres dépourvus de raison d’être déterminés à agir par l’influence de causes étrangères. La définition qui vient d’être donnée ici de la liberté est négative et pour en saisir l’essence inféconde; mais il en découle le concept positif de la liberté: Comme le concept d’une causalité implique en lui celui de lois, d’après lesquelles quelque chose que nous nommons effet doit être posé par quelque autre chose qui est la cause, la liberté bien qu’elle ne soit pas une propriété de la volonté se conformant à des lois de la nature n’est pas cependant en dehors de toute loi: au contraire elle doit être une causalité agissant selon des lois mais d’une espèce particulière. En quoi donc peut bien consister la liberté de la volonté sinon dans une autonomie c’est-à-dire dans la propriété qu’elle a d’être à elle-même sa propre loi? Or la proposition; la volonté dans ses actions doit être à elle-même sa loi n’est qu’une autre formule de ce principe: il ne faut agir que d’après une maxime qui puisse aussi se prendre elle-même pour objet à titre de loi universelle. Mais c’est précisément la formule de l’impératif catégorique et le principe de la moralité. Une volonté libre et une volonté soumise à des lois morales sont une seules et même chose » .
Kant, Fondements de la métaphysique des moeurs. 3ème section.
9) « Il découle du simple concept de puissance que la toute-puissance, justement, est une notion en soi contradictoire, vouée à s’abolir elle-même, voire dépourvue de sens. IL en va d’elle comme de la liberté dans le domaine humain. Loin que celle-ci commence là où finit la nécessité, elle existe et s’anime en se mesurant à cette nécessité. Séparer la liberté du règne de la nécessité, c’est lui enlever son objet, elle devient aussi nulle, hors de cet empire, qu’une force ne rencontrant pas de résistance. La liberté absolue serait une liberté vide, qui se supprime elle-même. Semblablement une puissance vide, et ce serait le cas pour la toute puissance absolue. La puissance absolue, totale, signifie une puissance qui n’est limitée par rien, pas même par l’existence de quelque chose d’autre en soi, de quelque chose d’extérieur à elle qui soit différent d’elle. Car la simple existence d’un tel autre représente déjà une limitation, et l’unique puissance devrait forcément anéantir cette autre afin de préserver son absoluité. La puissance absolue, dès lors, n’a dans sa solitude, aucun objet sur lequel agir. Puissance dépourvue d’objet, c’est alors une puissance dépourvue de pouvoir, qui s’abolit elle-même. « Tout », ici, équivaut à rien. Pour qu’elle puisse agir, il faut qu’il existe quelque chose d’autre, et aussitôt que c’est là, elle n’est plus toute puissante, bien que sa puissance, comparée au reste, puisse se montrer aussi supérieure qu’on le veut. Tolérée, l’existence per se d’un autre objet limite, en tant que condition de l’activité, la puissance de la force d’action de la puissance, cela lui permettant simultanément d’être une force active. Bref, la puissance est un concept relationnel et exige une relation à plusieurs pôles. Même alors, la puissance qui ne rencontre aucune résistance chez son partenaire de référence équivaut en soi à une non-puissance ».
Hans Jonaz, Le concept de Dieu après Auschwitz.
10) « La résistance de la matière est l’instrument de la forme qu’une main artiste arrache au marbre rebelle ; car on ne sculpte pas des nuages ! La poésie et la musique, à leur tour, inventent mille problèmes difficiles, s’imposent des règles gratuites du sonnet et les interdits de la fugue ou du contrepoint, s’enferme dans l’étroitesse d’un jeu très strict pour trouver une raison d’être. C’est que ce Nietzsche appelle danser dans les chaînes. Car l’artiste a besoin d’être entravé par ses anagrammes et ses calligrammes pour se sentir libre. C’est la pesanteur qui conditionne, en les contrariant, la grâce des danseuses et l’effort victorieux des alpinistes. Et de même les triomphes du virtuose sont des victoires sur la fatigue et la lenteur, sur l’inertie musculaire et la paresse des organes… ».
Vladimir Jankélévitch, La mort, p. 99, coll. Champs, ed. Flammarion
11) « L’argument décisif utilisé par le bon sens contre la liberté consiste à nous rappeler notre impuissance… Loin que nous puissions modifier notre situation, il semble que nous ne puissions pas nous changer nous-mêmes. Je ne suis libre ni d’échapper au sort de ma classe, de ma nation, de ma famille, ni même d’édifier ma puissance ou ma fortune, ni de vaincre mes appétits les plus insignifiants ou mes habitudes. Je nais ouvrier, Français, tuberculeux… etc. Bien plus qu’il ne paraît « se faire », l’homme semble « être fait » par le climat et la terre, la race et la classe, la langue, l’histoire de la collectivité dont il fait partie, l’hérédité, les circonstances individuelles de son enfance, les habitudes acquises, les grands et les petits événements de sa vie…
Cet argument n’a jamais profondément troublé les partisans de la liberté humaine: Descartes, le premier, reconnaissait à la fois que la volonté est infinie et qu’il faut « tâcher de nous vaincre plutôt que la fortune ». C’est qu’il convient de faire des distinctions: beaucoup des faits énoncés par les déterministes ne sauraient être pris en considération. Le coefficient d’adversité des choses, en particulier, ne saurait être un argument contre notre liberté, car c’est par nous, c’est-à-dire par la position préalable d’une fin que surgit ce coefficient d’adversité. Tel rocher qui manifeste une résistance profonde si je veux le déplacer, sera, au contraire, une aide précieuse si je veux l’escalader pour contempler le paysage… Ainsi, bien que les choses brutes paraissent limiter notre liberté d’action, c’est notre liberté elle-même qui constitue le cadre, la technique et les fins par rapport auxquelles elles se manifesteront comme des limites. C’est notre liberté elle-même qui constitue les limites qu’elle rencontrera par la suite. En sorte que les résistances que la liberté dévoile dans l’existant, loin d’être un danger pour la liberté, ne font que lui permettre de surgir comme liberté. Il ne peut y avoir de sujet libre que comme engagé dans un monde résistant. En dehors de cet engagement, les notions de liberté ou de nécessité perdent jusqu’à leur sens ».
Jean-Paul Sartre, L’Etre et le Néant.
« Qu’est-ce donc que la liberté? Naître, c’est à la fois naître du monde et naître au monde. Le monde est déjà constitué mais aussi jamais complètement constitué. Sous le premier rapport, nous sommes sollicités, sous le second, nous sommes ouverts à une infinité de possibles. Mais cette analyse est encore abstraite car nous existons sous les deux rapports à la fois. Il n’y a donc jamais déterminisme et jamais choix absolu: jamais je ne suis chose et jamais conscience nue. Dans l’échange entre la situation et celui qui l’assume, il est impossible de délimiter la part de la situation et la part de la liberté. On torture un homme pour le faire parler. S’il refuse de donner les noms et les adresses qu’on veut lui arracher, ce n’est pas par une décision solitaire et sans appuis: il se sentait encore avec ses camarades, et, encore engagé dans la lutte commune, il était encore incapable de parler, ou bien, depuis des mois ou des années, il a affronté en pensée cette épreuve et misé toute sa vie sur elle; ou enfin, il veut prouver en la surmontant ce qu’il a toujours pensé et dit de la liberté. Ce n’est pas finalement une conscience nue qui résiste à la douleur, mais le prisonnier avec ses camarades ou avec ceux qu’il aime sous le regard de qui il vit. Et sans doute, c’est l’individu, dans sa prison, qui ranime chaque jour ces fantômes mais réciproquement, s’il s’est engagé dans cette action, s’il s’est lié avec ces camarades ou attaché à cette morale, c’est parce que la situation historique, ses camarades, le monde autour de lui paraissent attendre de lui cette conduite là. On pourrait ainsi continuer l’analyse sans fin. Nous choisissons le monde et le monde nous choisit » .
Maurice Merleau-Ponty, Phénoménologie de la perception.